Tout comme ailleurs, le marché du SaaS (Software as a Service) est florissant en France : en 2018, il est prévu que les revenus du SaaS s’élèvent à 2,7 milliards d’euros, soit une hausse de 22 % selon les prévisions du Syntec Numérique. Les opportunités sont nombreuses dans notre pays et des éditeurs internationaux comme locaux cherchent à y faire commerce. Toutefois, même si le SaaS n’a pas de frontières, le panorama est différent dans chaque pays et la France a ses particularités. À l’occasion de SaaStr Europa, qui a eu lieu à Paris le 15 juin dernier, Thibaut de Lataillade, Directeur Général de Capterra International, a interrogé plusieurs des acteurs du SaaS (y compris des conférenciers) qui ont donné leur avis sur la situation.
Les tendances made in France
La France est actuellement un bon terrain pour le SaaS, notamment car les entreprises investissent en applications logicielles. Selon une étude Gartner, les dépenses des CIO (Chief Information Officer) en digitalisation de leurs entreprises va augmenter de 10 % en 2018, les plaçant au-dessus de la moyenne globale. Selon cette même étude, les investissements se feront prioritairement en BI/analytics et en marketing digital, ainsi qu’en outils spécifiques aux secteurs.
Selon Louis Coppey de Point Nine Capital, “beaucoup d’argent auparavant investi en logiciels on-premises sera désormais investi en produits SaaS par les entreprises”. Il y a donc clairement un marché à saisir.
Les particularités en France : comment arriver à vendre
Mais comment vendre un produit SaaS en France ? Quelles sont les spécificités des clients français ? Eh bien, elles sont diverses, et il ne faut pas les prendre à la légère !
Le Français est dur à convaincre
Tout d’abord, les éditeurs de logiciels SaaS doivent s’attendre à une négociation commerciale plus longue. Selon Shelley Taylor, CEO de
(solution de gestion des ressources pour associations et services publics), “les clients français doivent beaucoup réfléchir, discuter. Ils sont intéressés par notre produit, mais tout est plus administratif, plus long.” De même, Vladimir Polo, CEO de (outil SaaS de création de formations en ligne), raconte : “Les clients français font attention à tous les détails ! Il faut échanger beaucoup d’e-mails avant qu’ils prennent une décision.” Chez , société française qui commerciale une API d’optimisation des recherches, la même remarque est faite : selon Justine Chambion, spécialiste produit, “il est toujours plus lent d’obtenir un client en France. Les prospects n’ont pas la même conception de l’urgence et ils veulent s’assurer de la valeur de ce qu’ils achètent“. En parallèle, Michaël Bentotlila, CEO de la plateforme de conduite du changement , constate : “En France, la résistance au changement est plus forte. L’adoption de nouveaux outils peut s’avérer complexe.” Les clients français sont généralement plus frileux, et les éditeurs de logiciels ont donc intérêt à être de bons vendeurs, et à être patients !Attention aux lois françaises !
Par ailleurs, il faut parfois tenir compte des lois françaises. Comme le dit Aazar Shad, cofondateur de
, “les Français adorent les réglementations !” Mais outre le côté anecdotique, David Pires, directeur marketing web chez , solution de communication interne pour les employés de terrain, explique par exemple : “Les lois du travail sont plus strictes en France, ce qui rend la mise en place de notre produit plus difficile. En France, il n’est pas facile de légaliser l’utilisation d’une application professionnelle sur un téléphone personnel, pour un usage en dehors des heures de travail, même si c’est pour rendre service aux employés et leur permettre de mieux communiquer entre eux.” Dans certains marchés niches, il peut même arriver que le contenu du logiciel doive être adapté. C’est le cas par exemple de , logiciel de paiement par prélèvement automatique : “ Nous commercialisons GoCardless dans le monde entier et adaptons le produit à chaque marché. Le produit vendu en France est légèrement différent de celui vendu hors de l’espace européen, car adapté à la norme européenne SEPA“, dit Henri Huet, chargé de comptes.La nouveauté, un avantage à mettre en avant
D’autre part, pour réussir à vendre en France, un atout important est de proposer un produit ou un service qui n’est pas encore présent dans le pays, ou très peu. C’est le cas par exemple de
, plateforme de monétisation digitale et fournisseur de services marchands qui se positionne en tant que Merchant of Record, agissant en tant que marchand agréé et revendeur légal de ses clients. “En France, les acteurs Merchant of Record ne sont pas répandus comparativement aux pays anglo-saxons. Du coup, notre positionnement est atypique sur le marché français […] Nous souhaitons évangéliser les avantages de ces services marchands auprès des entreprises françaises”, explique Cécile Abescat, responsable du produit marketing. Se positionner en tant que pionnier sur le marché français peut être un réel avantage, aussi en termes d’attraction des investisseurs. Selon Louis Coppey de Point Nine Capital, certaines catégories de logiciels SaaS sont déjà saturées. Il affirme : “Les investisseurs vont préférer des sociétés qui se différencient, avec des fonctionnalités que l’on ne retrouve pas chez les concurrents actuels.”Le Français aime qu’on parle sa langue
Enfin, pour vendre en France, il est souvent important de proposer un produit et un service en français. Selon une enquête menée pour Capterra.fr, site comparateur de logiciels métiers, 86 % des utilisateurs considèrent relativement important ou très important que le logiciel soit traduit en français. En outre, beaucoup d’éditeurs SaaS, comme
, ou encore , s’accordent à dire qu’il est tout aussi important de proposer un support et un point de contact francophones pour vendre en France : cela démontre qu’un effort est fait de la part de l’éditeur. Selon Cédric Dezile, CEO de la solution ATS , “ les clients français sont souvent réfractaires à utiliser des logiciels étrangers. Il faut être local, notamment en proposant une interface et un support client en français. Idéalement, avoir des intégrations et des partenariats locaux reste le meilleur moyen pour s’installer sur ce marché .” Être français, ou tout du moins disposer de ressources francophones, aiderait à gagner la confiance du client. “Notre atout en France, c’est d’être une entreprise d’origine française, et nous nous présentons en tant que tel”, nous explique Fred Plais, CEO de , plateforme d’aide à la gestion des infrastructures cloud.Qu’en est-il des éditeurs locaux ?
À côté des éditeurs étrangers qui veulent développer leur chiffre d’affaires en France, il y aussi des entreprises locales. Et l’offre en éditeurs SaaS français est vaste. Mais qui sont ces sociétés ? Quel sont les facteurs clés de leur succès ?
“Le Saas est un driver important de la croissance de l’écosystème des startups en France”, dit Louis Coppey de Point Nine Capital. “Les plus gros succès de ses 10-15 dernières années sont des éditeurs dits horizontaux, c’est-à-dire qui vont vendre à tous les secteurs plutôt qu’à un secteur particulier. […] En outre, on observe que ces sociétés ont, à un moment donné, ouvert un bureau ou déménagé leur siège social aux États-Unis.”
“Un des facteurs de leur succès, c’est qu’elles ont une approche commerciale de type bottom-up : elles vendent au départ à l’utilisateur final, pour ensuite remonter dans l’entreprise”, continue Louis Coppey. Selon lui, il s’agit d’ailleurs d’un des avantages du SaaS : proposer des produits relativement simples pour aller chercher d’abord les petits clients, les utilisateurs finaux, pour ensuite s’étendre vers des cibles de plus grande envergure.
Et quelles sont les catégories qui se démarquent en termes de logiciels horizontaux ? Louis Coppey cite les outils marketing, mais aussi et surtout les developer tools, c’est-à-dire les logiciels visant à rendre le développeur plus efficace. Algolia, Sqreen ou encore Akeneo en sont quelques exemples. “La raison ? En France, on a peut-être un meilleur ADN produit, un meilleur talent ingénieur qu’un talent commercial. Cette expertise est un véritable levier de succès pour les entreprises françaises. Et par conséquent, ces bons ingénieurs arrivent à concevoir de bons produits pour le client final, à savoir le développeur lui-même”, explique Louis Coppey.
Et si les éditeurs de logiciels sont principalement horizontaux (de l’ordre de 65 % des logiciels SaaS en France selon Point Nine Capital), pour Louis Coppey, la raison est simple : “Pour percer dans un secteur vertical, il faut le connaître, en comprendre tous les rouages.” En outre, certains secteurs horizontaux tels que le CRM, la gestion de projets ou les outils ATS (ou suivi des candidats) sont déjà fortement saturés. Il semble donc plus facile de s’aventurer dans la conception d’un logiciel mainstream.
35 % des logiciels SaaS français sont malgré tout verticaux, notamment dans les catégories e-commerce et retail, qui restent les secteurs les plus ciblés.
Quel avenir pour le SaaS en France ?
Dans ce contexte, comment va évoluer le marché du SaaS en France ? Quelles sont les tendances ? Pour Louis Coppey, bon nombre de secteurs et de catégories ne sont pas encore “saasifiées” et il devrait y avoir une apparition de nouveaux logiciels SaaS innovants. “Il y aura de plus en plus d’entreprises verticales demain. Les entrepreneurs cherchent les marchés moins compétitifs, car les catégories horizontales sont de plus en plus concurrentielles et il est difficile de se différencier”, dit-il. “Déjà, de plus en plus de produits tendent vers le vertical. On peut imaginer, par exemple, trouver toute une suite d’outils spécifiques à une industrie particulière. Le succès aux États-Unis de ServiceTitan, un logiciel dédié aux électriciens et aux plombiers, étant un bon exemple”, ajoute-t-il.
Par ailleurs, d’autres tendances vont émerger, ou émergent déjà, comme les chatbots ou l’intelligence artificielle. Benoît Senard, CTO de
(API pour appels audio et vidéo), nous parle aussi de la vidéo : “De plus en plus de plateformes utilisent la vidéo : d’ici 2020, 80 % du trafic sur internet sera vidéo.” Un créneau qui sera très certainement étudié de près.En termes de stratégie de vente et d’acquisition de leads, il risque aussi d’y avoir du changement. “Historiquement, la manière de vendre des entreprises SaaS, à savoir s’adresser directement à l’utilisateur final, était disruptive. La méthode de la version d’essai était tout aussi novatrice : permettre au client de tester le produit avant de l’acheter pour de bon”, dit Louis Coppey. “Aujourd’hui, il reste des stratégies innovantes à trouver, par exemple construire un produit intrinsèquement viral”, conclut-il.
Quoi qu’il en soit, restez connectés, car vous n’avez pas fini d’entendre parler du SaaS en France !
* Méthodologie de l’enquête : The 2017 Gartner CIO Survey was conducted during 2016, based on a number of hypotheses developed by the Gartner CIO research community. The results of the 2017 Gartner CIO Survey have formed the basis for the 2017 CIO Agenda (see the Gartner Recommended Reading section). This research note uses the results of the 2017 survey and explores the areas where the responses from France lead to additional observations — either contradicting or supporting the global findings.
The purpose of this research note, therefore, is not to comment on the entire survey, but rather to serve as a supplement that highlights special areas of significance for French CIOs and for other stakeholders with an interest in France. The findings from the total dataset were published in their entirety as “The 2017 CIO Agenda: Seize the Digital Ecosystem Opportunity.”
** Méthodologie du sondage : 63 réponses à cette question (sur un total de 87 répondants) sur le site Getapp.fr, autre marque de Gartner Digital Markets, sur la période du 24 avril au 2 mai 2018