Malgré une succession de lois qui définissent les obligations de l’entreprise en matière de parité, l’égalité hommes-femmes dans le monde du travail n’est toujours pas une réalité : c’est ce que démontrent régulièrement des études tant en France qu’à l’étranger. Selon une étude de l‘OCDE, même si les écarts entre hommes et femmes dans les pays de l’OCDE ont diminué pendant les
50 dernières années, les inégalités persistent dans tous les domaines de la vie sociale et économique. Cadre réglementaire, opportunités de performance et nouvelles technologies, quelles sont les raisons qui justifient que les entreprises doivent intégrer ce sujet dans leur agenda ?
Inégalités hommes femmes : de quoi parle-t-on ?
Lorsque l’on parle d’égalité hommes-femmes au travail, on se doit d’évoquer essentiellement trois domaines :
- le choix à l’embauche qui vise à privilégier un genre plutôt qu’une compétence pour certains métiers ; il s’agit là du biais consistant à rechercher pour un poste donné le même profil que ceux déjà majoritaires dans l’entreprise ou pour lequel il existe un préjugé d’association “naturelle” (le biais en question) entre les compétences associées à un poste et celles prétendument associées à un genre. Certains outils de comparaison de candidats permettent néanmoins de corriger ce biais, charge à l’entreprise de mettre en place des correcteurs de biais lors de ses politiques de recrutement.
- la proportion moins importante de femmes dans certaines fonctions, notamment dans les instances de gouvernances des entreprises, alors que la proportion de femmes actives ne cesse de progresser. Rappelons que depuis 2017, la loi Copé-Zimmermann impose 40 % de femmes au sein des conseils d’administration des grandes entreprises françaises. Certes, depuis 2013, cette proportion est passée de 26 % à 43 %, mais les comités exécutifs des 120 plus grosses entreprises françaises ne comptent que 15 % de femmes.
- Les inégalités de salaires, qui restent importantes et ne semblent pas s’estomper avec les nouveaux diplômés. Une étude récente de l’APEC, menée auprès des jeunes diplômés d’écoles d’ingénieurs, de commerce ou d’un master universitaire, confirme que la proportion d’hommes bénéficiant d’un CDI, du statut cadre ou d’un meilleur salaire à la première embauche est toujours supérieure à celle des femmes.
Un nouveau dispositif : l’index d’égalité
L’égalité salariale entre femmes et hommes est inscrite dans la loi depuis 1972 ! Pourtant, fin 2018, la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a dévoilé un nouvel outil destiné à évaluer (et sanctionner) les différences de rémunération dans les entreprises, preuve que les initiatives réglementaires précédentes n’ont pas tenu leurs promesses. Rémunération, moyenne des augmentations, promotions internes, feront l’objet d’une cotation. Comme le précise le site du gouvernement : ”Chaque année, les entreprises françaises de plus de 50 salariés devront publier sur Internet le score obtenu à l’index d’égalité femmes-hommes. S’il est inférieur à 75 sur 100, elles auront trois ans pour se mettre en conformité. Dans le cas contraire, elles seront sanctionnées financièrement jusqu’à 1% de leur masse salariale.”
Toutes les entreprises seront progressivement concernées par cette mixité hommes-femmes au travail. L’obligation s’applique :
- aux entreprises de plus de 1 000 salariés depuis le 1er mars 2019
- aux entreprises comprenant entre 250 et 1 000 salariés à partir de 1er septembre 2019
- aux entreprises de 50 à 249 salariés à partir du 1er mars 2020
Par cette loi, le gouvernement décide de s’attaquer au porte-monnaie des entreprises pour les contraindre à respecter enfin leurs obligations en la matière.
La mixité dans l’entreprise : un avantage certain
À côté des obligations réglementaires, le sujet de la mixité hommes-femmes peut également être appréhendé comme une opportunité à exploiter par les entreprises. Il s’agit de s’attaquer aux préjugés et de prendre conscience des bénéfices à en tirer. La sensibilisation et la formation sont alors d’excellentes méthodes pour y parvenir.
Parmi les opportunités, on peut notamment citer :
- La performance de l’entreprise : il existe une multitude d’études qui démontrent que les entreprises qui favorisent la parité hommes-femmes dégagent des performances supérieures. Citons un récent rapport du Fonds Monétaire International publié en mars 2019, qui précise que les pertes économiques liées aux inégalités entre les femmes et les hommes pourraient représenter 10 % du PIB dans les pays développés. En cause, notamment, un accès à l’emploi non équitable entre hommes et femmes.
- L’image de l’entreprise : écologie, emploi, diversité… Les attentes de la société civile vis-à-vis de la responsabilité sociale des entreprises deviennent de plus en plus pressantes. Les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements RSE s’exposent à des risques de critiques acerbes sur les réseaux sociaux, voire des appels au boycott. Chez les jeunes diplômés, la RSE d’une entreprise devient un critère essentiel au moment du choix d’un employeur potentiel.
- La connaissance des clients : les femmes sont décisionnaires d’une importante proportion des achats du foyer. Dans les pays développés, en particulier aux États-Unis, entre 70 % et 85 % des achats quotidiens sont effectués par les femmes, ainsi que 93 % des achats agroalimentaires,
92 % des réservations de vacances et de loisirs et même 68 % des achats de voitures. Et pourtant, les femmes restent sous-représentées dans les postes à responsabilité des départements marketing, commercial ou encore recherche et développement. - L’innovation : face aux exigences d’innovation et de créativité liées à la transformation digitale, les entreprises doivent pouvoir constituer des équipes projets aux profils variés, avec des modes de pensées, des repères, des sensibilités complémentaires pour inventer les produits et services de demain.
La promesse de l’intelligence artificielle
L’IA (ou Intelligence Artificielle) nous est présentée comme la solution à une meilleure égalité. En effet, l’algorithme peut aujourd’hui se substituer à la subjectivité humaine lors du processus de recrutement. Basée sur des critères exclusivement rationnels, son objectivité technologique s’affranchit des biais et autres stéréotypes de genre, par exemple grâce aux logiciels d’analyse de CV. Mais c’est oublier un peu vite que l’IA reste malgré tout le résultat d’une projection humaine qui se retrouve dans les algorithmes et dans les critères retenus dans une base de données. Les exemples de biais reproduits dans une IA sont nombreux. L’IA ne fait dans ce cas que reproduire des biais humains.
L’égalité hommes-femmes ne peut plus être négligée par les entreprises. Le cadre réglementaire devient, à juste titre, de plus en plus contraignant. La pression des collaborateurs, des clients, des citoyens ne peut être ignorée, sous peine de fortes sanctions en termes d’image et de réputation. L’argument d’une meilleure performance liée à une plus grande mixité hommes-femmes, argumenté et chiffré dans de nombreuses études en France et à l’international, semble être de nature à convaincre les entreprises plus réticentes. Mais peut-on considérer que l’égalité, pour être mieux acceptée, doit absolument être performante ? N’est-ce pas instaurer une hiérarchie cynique entre les inégalités coûteuses et les inégalités rentables ? Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS, s’interroge d’ailleurs : “L’égalité doit-elle être performante pour être justifiée ?”
À PROPOS DE L’AUTEUR
Franck La Pinta est spécialiste de la transformation des organisations liée aux nouvelles technologies et au digital pour analyser les impacts de cette révolution sur les méthodes et l’organisation du travail, les Ressources Humaines, le management. Il anime des conférences et séminaires en entreprise et est intervenant externe en école (Celsa, CNAM, EDHEC, ESCP, IEP…). Retrouvez-le sur son site et sur Twitter : @flapinta