Garder le même emploi tout au long de sa carrière professionnelle n’est plus le credo des employés d’aujourd’hui. Avant la pandémie se distinguait déjà le phénomène de “job hopping” désignant les professionnels, et plus particulièrement les plus jeunes générations, ayant fait le choix de changer fréquemment et volontairement d’emploi.
Dans cet article
Outre leur impact sur la culture et les opérations des entreprises, confinements et télétravail ont également participé à une mutation majeure : celle de la transformation du lien qu’entretiennent les salariés avec le monde du travail.
Dès le début de l’année 2022, ils étaient déjà près de 470 000 employés en CDI à avoir quitté leur emploi, faisant écho au phénomène de “big quit” amorcé sur le territoire américain.
La même année, c’est au tour du phénomène de “quiet quitting” de faire parler de lui sur les réseaux sociaux, mettant en lumière un détachement conscient des salariés de leur quotidien professionnel.
Au vu de ces tendances, se préparer aux défis liés à la rétention et l’engagement des salariés semble se profiler comme un facteur stratégique d’importance pour le futur des organisations. Que révèlent les phénomènes de big quit, quiet quitting et job hopping quant aux besoins des salariés ? Quels challenges posent-ils aux entreprises ? Comment peuvent-elles renforcer leur attractivité aux yeux de leurs collaborateurs ? Voici les points explorés ici par Capterra.
Pour cet article, nous avons également fait appel à l’expertise de :
- Jean-Noël Chaintreuil, stratégiste pour le laboratoire de conseils Change Factory
- Faustine Duriez, CEO du cabinet de conseil et de formation HumanSide.io
- Marianne Lemay, présidente de la firme d’innovation en ressources humaines Kolegz
- Frédéric Mischler, facilitateur en Transformations et Innovations RH pour l’agence Humaineo
Des tendances qui interrogent le rapport au travail des salariés
Une étude menée par Capterra en juin 2022 révèle que 36 % des employés français envisagent de quitter leur poste, quand 25 % se déclarent incertains quant à leur décision de rester ou non dans leur entreprise.
En quoi le job hopping, le big quit et le quiet quitting illustrent-ils cette transformation du rapport employeur/employé et de leur fidélité à l’entreprise ?
La priorité donnée aux expériences professionnelles multiples
Si changer fréquemment d’emploi pouvait présenter le risque d’envoyer un signal négatif auprès des employeurs, ce phénomène ne paraît plus toutefois représenter une inquiétude majeure pour les salariés.
Pour certains d’entre eux, appelés “job hoppers”, cette option est désormais envisagée de façon volontaire, un phénomène plus particulièrement présent chez la génération Z et les milléniaux.
Pour les “job hoppers”, multiplier les expériences peut s’avérer un moyen d’élargir le champ de leurs compétences, par soif d’apprentissage et de découverte, mais aussi pour parer à la
compétitivité du monde du travail plus accrue que celle rencontrée par leurs aînés. Alors qu’auparavant, l’absence de spécialisation dans un domaine pouvait être jugée comme “un handicap” par les entreprises, la polyvalence et la flexibilité sont désormais des qualités prisées par les employeurs. Cumuler différentes expériences pourrait donc représenter un atout pour rendre un profil de candidat plus attractif.
D’autre part, leurs aspirations à des modèles de travail rompant avec ceux traditionnellement proposés par les entreprises, ou encore leur prédilection pour des entreprises dont les valeurs et la culture sont jugées plus authentiques sont des motifs pouvant les amener à changer d’emploi jusqu’à trouver l’entreprise satisfaisant leurs critères.
Si la perspective des employés quant au job hopping a pu évoluer, il semblerait également en être de même du côté des entreprises, comme le souligne Jean-Noël Chaintreuil : “Les employeurs admettent plus facilement que les candidats sont à la recherche d’expériences - d’onboarding, de formation, de développement - et en demande d’adéquation culturelle. Donc, quand l’un ou l’autre fait défaut, on a un désengagement voire un turnover.”
Un point de vue que partage également Frédéric Mischler, indiquant même la multiplication des expériences comme un bénéfice perçu par les entreprises dans leur processus de recrutement.
Pandémie et quête de sens, les causes d’une vague de démission record
C’est au cours de l’été 2021 que le phénomène de “big quit” ou “grande démission” fait son apparition aux États-Unis ; le pays enregistre alors une vague inédite de démissions, concernant alors près de 4,3 millions d'employés ayant quitté leur poste au mois d’août de la même année. Si cette tendance n’aurait pu être que locale, l’Hexagone fait lui aussi l’expérience d’un taux de démission à la hausse, attribué à ce même facteur.
Pour expliquer le big quit, plusieurs pistes sont avancées.
En premier lieu, l’impact du COVID-19 sur les conditions de travail de différents secteurs fait partie des éléments qui ont pu conduire à la réévaluation des attentes professionnelles vécue par certains salariés. Une partie d’entre eux y ont vu une motivation supplémentaire pour effectuer une reconversion professionnelle, ou un terrain propice à l’émergence d’une quête de sens quant à leurs objectifs de carrière. Frédéric Mischler fait ici part de “[...] la considération plus introspective par bon nombre de salariés, de leur réalité de travail et de l'adéquation ou non à leurs aspirations plus profondes.”
Pour d’autres, ce contexte a représenté l’occasion de privilégier l’harmonie entre vie professionnelle et vie privée, en favorisant par exemple une entreprise proposant un modèle de travail hybride.
Un concept synonyme de remise en cause de l’engagement au travail
À l’origine, le terme de “quiet quitting” est associé à une vidéo postée en mars 2022 sur le réseau social TikTok. Celle-ci fait état d’une tendance décrivant le souhait des employés d’effectuer le strict nécessaire dans leurs tâches quotidiennes plutôt que de démissionner.
Pour les personnes se considérant en situation de “démission silencieuse”, cette forme de travail apparaît comme un moyen de rééquilibrer ses priorités en matière de vie professionnelle et vie personnelle, tout en limitant les sources potentielles de stress au travail. Pour les “quiet quitters”, plus question donc d’accepter des projets supplémentaires ou encore de viser une promotion au détriment de leur bien-être.
Préserver sa santé mentale en réduisant son investissement professionnel peut également faire partie des motivations qui sous-tendent le phénomène de quiet quitting, et dans lequel semble se reconnaître une partie des actifs français.
Ce facteur a notamment pu être amplifié par le contexte de la crise sanitaire. Selon une étude réalisée par Capterra, alors que 77 % des Français interrogés considéraient leur santé mentale comme bonne à excellente avant la pandémie, ils n’étaient en effet que 53 % à déclarer de même en février 2022. Le groupe des employés estimant leur santé mentale comme mauvaise à très mauvaise était quant à lui à la hausse, passant de 4 % à 16 % sur la même période analysée.
Que révèlent ces phénomènes des besoins actuels des employés ?
Ce qui pourrait sembler comme une turbulence à court terme provoquée par le contexte de la pandémie est toutefois révélateur d’aspirations plus profondes chez les salariés.
Qu’il s’agisse de la grande démission, de la démission silencieuse ou des changements fréquents d’emploi, ces phénomènes convergent autour de points communs majeurs dont les entreprises peuvent tirer des enseignements.
Une place grandissante accordée à la flexibilité
Pour les employés travaillant à distance ou selon un modèle hybride interrogés par Capterra lors d’une étude de juin 2022, le constat est clair : 51 % considèrent l’absence de flexibilité dans leur mode de travail comme une raison, voire la raison principale, qui pourrait les pousser à quitter leur emploi.
Comme le spécifie Frédéric Mischler, facilitateur en Transformations et Innovations RH : “[Il existe un] niveau d'exigence accru pour une part des salariés envers leur employeur, en matière de flexibilité d'organisation de leur temps de travail et de leurs modalités de travail, avec comme corollaire en cas de refus, une moindre compréhension et acceptation des décisions.”
Les formules de travail flexibles occupent en effet une place de plus en plus importante dans le débat sur la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Semaine de 4 jours et horaires flexibles font partie des options déjà envisagées par différentes entreprises pour répondre à ce besoin latent chez les employés.
Pour faciliter la mise en pratique de ces politiques, certains logiciels peuvent aider les entreprises à automatiser la gestion du planning de leur personnel dans le cas d’horaires aménagés, ou encore fournir des fonctionnalités visant à soutenir le déploiement du travail à distance.
Une approche holistique du bien-être en entreprise
Au-delà de la question de la rémunération, un élément s’avère prévalent pour les employés : celui du respect de leur bien-être, non seulement physique mais aussi psychologique, au travail.
Faustine Duriez renchérit sur ce point : “Les organisations ont passé la dernière décennie à sonder leurs salariés sur leur bien-être sans prendre de vraies mesures pour agir dessus. [...] Les entreprises doivent prendre soin de leurs salariés de façon continue, ne pas s'en tenir au cadre légal d'un entretien annuel pour recueillir du feedback par exemple, mais créer des moments d'échange réguliers.”
Face à ce besoin, les pouvoirs publics ont par ailleurs élargi la législation relative à la loi du bien-être au travail. Les entreprises ont désormais l’obligation légale de participer à la prévention de tous risques psychosociaux pouvant fragiliser la santé mentale et physique de leurs employés, tels que le stress au travail ou les comportements abusifs.
Promouvoir une politique de bien-être au travail peut aider les employés à influencer leur propre santé, leur qualité de vie, leur bien-être mental et, par conséquent, leurs performances.
Afin de sensibiliser et d’éduquer leurs employés dans ce domaine, mais aussi pour aider les entreprises dans la gestion des programmes et avantages qui leurs sont proposés, les logiciels de bien-être au travail sont des supports à considérer.
L’autonomie plutôt que la surveillance
Avec la digitalisation de leurs opérations et la localisation de leurs employés sur différents sites, certaines entreprises ont opté pour la mise en place d’outils de surveillance, afin de monitorer l’activité de leurs collaborateurs.
Si ce principe présente l’opportunité d’automatiser la gestion du temps des employés ou encore de leur charge de travail, il génère toutefois certaines réticences de leur part. Selon une étude Capterra de février 2022, près de 72 % des salariés travaillant au sein d’entreprise disposant de ce protocole estimaient que ce dernier avait un impact négatif sur le lien de confiance.
Ce ressenti peut s'avérer révélateur d’un désir d’autonomie des employés, qu'il s'agisse du contrôle de leur rythme de travail, de l'organisation des tâches, ou encore de la liberté qu’il leur est donnée de décider quand et où ils exécutent leur mission.
Prioriser une politique de la transparence où les feedbacks et suggestions d’amélioration des salariés sont pris en compte, mais aussi soutenir les managers dans la gestion quotidienne de leurs équipes par le biais de formations dédiées, sont des actions qui contribuent à l’autonomisation de vos employés.
Pour Faustine Duriez, l’un des points essentiels à prendre en compte en termes de management est le suivant : “Les managers sont attendus sur la partie opérationnelle, et non pas sur la partie relationnelle. Et c'est de plus en plus dommageable car la collaboration fait désormais partie de la performance. [...] Il faut former les managers à la performance relationnelle, pas seulement opérationnelle. Et cela passe par de la formation continue et pratique à l'intelligence émotionnelle.”
La recherche d’une entreprise aux valeurs partagées
L’un des points mis en exergue par ces phénomènes est l’importance qu’accordent les employés au partage de valeurs communes avec leur entreprise. De la promotion de l’égalité femmes-hommes à l’esprit de solidarité, en passant par le souci de la cause environnementale, il semble de plus en plus important pour eux de se reconnaître dans les valeurs diffusées par leur structure.
L’authenticité et les valeurs de la marque employeur sont par ailleurs des notions clés pour les plus jeunes générations de professionnels et représentent de ce fait un potentiel levier d’attraction au moment de choisir leur entreprise.
En tant que partie intégrante d’une organisation, les employés sont des représentants essentiels de l’image et des valeurs véhiculées par une entreprise. Mettre en place une stratégie d’employee advocacy peut contribuer à les aider dans leur rôle d’ambassadeurs, et participer ainsi à leur engagement autour des missions de l’entreprise.
Un engagement qui passe par la reconnaissance au travail
Comme le constate Faustine Duriez : “ La pandémie a changé la façon dont nous travaillons en généralisant le télétravail. Or, à distance, l'engagement (soit l'investissement émotionnel) devient de plus en plus difficile à "voir". Et les salariés ont l'impression que leur engagement n'est pas assez récompensé. [...] Il faut donc revoir la façon dont on reconnaît l'engagement et la création de valeur. Car le désengagement représente un coût énorme pour les entreprises.”
La reconnaissance sur le lieu de travail apporte aux employés un sentiment d'accomplissement, tout en leur permettant de se sentir valorisés au sein de leur entreprise. Non seulement la reconnaissance permet d’aider à stimuler l'engagement individuel des employés, mais peut également contribuer à la productivité et à la loyauté envers l'entreprise.
La reconnaissance aide les employés à voir l’appréciation que leur porte leur entreprise, mais aussi d’évaluer en quoi ils contribuent au succès de leur équipe et de l'entreprise dans son ensemble. Ce paramètre peut de ce fait avoir un impact d’importance sur leur satisfaction et leur rétention.
Marianne Lemay a partagé avec nous quelques conseils sur les différentes manières dont ce principe peut être mis en place : “Impliquez vos employés dans les décisions stratégiques de l’organisation, faites évoluer leur carrière en fonction de leurs aspirations et offrez-leur un salaire qui leur semble juste et équitable.”
L’importance de promouvoir le cadre de travail de demain
Si le job hopping, le big quit, ou encore le quiet quitting sont des phénomènes liés à des circonstances économiques et sociales spécifiques, ils découlent toutefois de véritables défis auxquels les employés sont confrontés dans leur environnement de travail.
Alors qu'un rapport de Gartner (article en anglais) indique que seuls 19 % des responsables des RH seraient prêts à gérer une pénurie de talents cruciaux pour les prochaines années, et face aux risques financiers et de perte de compétitivité que constitue le turnover, s’adapter aux attentes nouvelles des salariés peut s’avérer crucial.
Si les équipes de ressources humaines ont bel et bien un rôle à jouer, Faustine Duriez souligne toutefois : “La difficulté c'est que les recruteurs sont impuissants sur ce qui génère de l'engagement et qui permet la loyauté d'un candidat : la qualité des relations au travail, le management et la capacité d'action (l'”empowerment”) que le candidat aura pour réussir ses missions. On demande aux recruteurs de remplir une baignoire trouée. Seules les organisations peuvent agir pour arrêter ce phénomène.”
Quelles actions peuvent donc entreprendre les organisations ?
Pour Frédéric Mischler, l’une des actions prioritaire est de “ [...] s'intéresser réellement à leurs collaborateurs sur le plan individuel, en visant à véritablement mieux les connaître, mieux les comprendre, mieux échanger avec eux, notamment autour de la question de leur vécu du travail, ainsi que développer sur ces fondements une démarche d'optimisation active, continue et personnalisée de l'expérience collaborateur proposée à chacune et chacun d'entre eux.”
Si, pour Jean-Noël Chaintreuil, l’écoute et l’intérêt individuel porté aux employés sont essentiels, “[...] il est [aussi] important de réfléchir à la mise en place des programmes d’ “employee empowerment” (intrapreneuriat, collaborateurs-ambassadeurs, reverse mentoring, RSE mentoring), des programmes pour réconcilier implication, créativité, autonomie et responsabilités.”
Enfin, Marianne Lemay met en garde contre contre la discrimination à l'embauche et incite à être ouvert à tous types de candidatures, mettant en avant l’importance de la création d’un lieu de travail favorisant l’inclusion et la diversité.